Pourquoi je n’irai probablement pas voter dimanche

Avant de commencer, je souhaiterai mettre d’entrée de jeu les choses au clair, il ne s’agit pas d’un article à visée politique mais bien d’un article citoyen, qui n’engage que moi et mes convictions. Le débat est ouvert mais doit rester apolitique.  

En tant que citoyenne nigérienne résidant à l’étranger, je n’ai pas eu le droit de voter jusqu’il y a peu.  Les élections législative et présidentielle de 2016 sont donc les premières élections auxquelles  je participe. Petite, je rêvais de voter car la symbolique pour moi était forte. Je me souviens d’une élection où j’avais accompagné mes parents et où j’avais glissé le bulletin dans l’urne à la place de ma mère.  «  A voté » avait-crié le président du bureau de vote. Je me sentais vraiment fière, la voix de mes parents comptait et ils avaient choisi leur président en leur âme et conscience.  Avec du recul, c’est cette liberté de choisir, ce droit qui nous dit que notre avis compte parmi ceux des autres, qu’ils soient riche, pauvre , vieux, jeune  qui m’a particulièrement séduite. Tous égaux en droit, citoyen nigérien, le pouvoir de la démocratie.

C’est donc cette image en tête, cette fierté au cœur que je me suis rendue aux urnes le 21 février dernier pour désigner celui qui devrait selon moi, mes convictions personnelles, être à la tête de mon pays. Aller voter en tant que citoyenne nigérienne à part entière… Je revendique toujours fièrement mes origines, ma nationalité,  mais dans les faits est-ce vrai ? En vivant à l’étranger, je suis considérée comme une « citoyenne de seconde zone », limite apatride : pas considérée comme nigérienne, et encore moins comme française.  Alors bien évidement, lorsqu’on nous a accordé le droit de vote, à nous qui composons la diaspora nigérienne, j’ai eu l’impression qu’il y avait enfin une véritable reconnaissance, d’avoir notre citoyenneté rétablie dans son absolu.  Je suis donc allée me faire recensée, je l’avoue un peu poussée par mon frère, les démarches administratives m’ennuient pour rester politiquement correcte.

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Votons, votez! 

Il y a eu un gros suspens quant à la réception de nos cartes électorales, on a été nombreux à se dire qu’au final nos cartes n’arriveraient jamais à destination et que nos voix seraient « attribuées » d’office. « On nous a fait rêver », disaient les uns, « Encore de la magouille » disaient les autres, beaucoup de pessimisme quant à la réelle mise en place du vote à l’étranger. Finalement, on les a reçues, la mienne contrairement à d’autres, ne comportait aucune faute relative à l’orthographe, ma date de naissance, mon adresse ou ma profession.

Puis est venue la question fatidique : pour qui allais-je voter ? Situation politique tendue, ça tire beaucoup « en dessous de la ceinture » depuis le scandale des bébés volés.   Pas de véritable idéologie, plus une élection marquée par une restructuration du paysage politique, des emprisonnements et des règlements de compte. Les partisans des différents partis politiques s’affrontent lors de joutes verbales à l’orthographe et l’argumentation  plus que douteuses sur les réseaux sociaux, sur un fond parfois ethnique. Il y a une quantité astronomique de discours creux, haineux, d’appel à la violence. On soutient le candidat de sa région, de son village, pas ses idéaux politiques.  Mais savent-ils pourquoi ils déblatèrent même ? Vous savez la politique au Niger, c’est l’opium du peuple. Tout le monde en parle et s’amuse à « sciencer » sur le sujet.

Le président sortant défend le bilan de son programme La Renaissance, justifie d’avoir Réalisé concrètement : les échangeurs, le train, la centrale énergétique de Gorou Banda, le programme Niamey Niala, l’Hôpital central de référence, le programme agroalimentaire 3 N (Les Nigériens Nourrissent les Nigériens) entre autres. On pourrait sortir une liste à la Prévert pour énumérer les réalisations aussi petites soient-elles, pour justifier d’un mandat d’actions. Malheureusement le goût pour de nombreux nigériens reste amer, terriblement amer. Voyez-vous, au Niger nous avons connu essentiellement des régimes militaires et le président actuel représentait pour beaucoup une nouvelle ère : un intellectuel issu d’un brillant parcours qui serait capable de mener le Niger sur le chemin de la réussite. Mais au bout de 5 ans de mandat, il y a eu moult déceptions, peut-être beaucoup trop d’attente et surtout un climat politique  qui s’est détérioré. Un seul nom  est sur toutes les lèvres pour traduire cette tension politique : Hama Amadou. Il me plait souvent de l’appeler « la Drama Queen » pour me moquer gentiment : toujours embarqué dans des arrestations, des tentatives de meurtre, d’exil, en bref l’homme à abattre  quel que soit le mandat présidentiel.  Il en faut toujours un sinon la politique ne serait pas ce qu’elle est.   J’ai vu dans la presse une comparaison avec Nelson Mandela, candidat emprisonné… Rions, rions…. Le seul point commun que je vois c’est la prison, comme on dit souvent ne mélangeons pas les torchons et les serviettes. Mandela se battait pour des réelles convictions politiques, une véritable idéologie pas par appétit du pouvoir.

Je reviens donc à cette question essentielle : pour qui vais-je donc voter ? Je regarde la liste des candidats : 15 candidats en tout. Incroyable 15 candidats ! Mais ils veulent vraiment tous être président ? Quelques têtes connues, des candidats éternels, qui tous les 5 ans se retrouvent pour le grand rendez-vous démocratique, s’il n’y a pas eu entre temps coup d’état. Il y a donc environ 15 partis représentés sans parler de la quarantaine de partis qui soutiennent le président sortant parait-il. 40 partis, tout le monde crée donc son parti politique au final, qu’il est loin le temps où on parlait de parti unique…Bref, comment se retrouver dans cette mosaïque, ce véritable bordel politique ?  4 choix s’imposent :

  • Le bon élève : je lis les 15 programmes des candidats et identifie celui auquel j’adhère le plus, le plus méritant selon moi
  • Le suiveur : je me laisse porter par l’avis de mon entourage et vote pour le candidat le plus populaire
  • Le je m’en foutiste/ le freestyler : j’y vais et on verra pour qui on vote, le vote nul et blanc sont bien sur une option envisageable
  • L’outsider : voter pour le parti qui remportera environ 0.5 % des suffrages, le parti que tu sais qui n’a aucune chance

Forte de son constat, il me faut prendre en compte aussi la célèbre phrase de Pascal LISSOUBA (ancien président congolais) «  On n’organise pas des élections pour les perdre ». Et c’est donc a fortiori l’impasse… Tout le monde bourrera les urnes pour être sûr de gagner, ou de limiter la casse. A tricheur, tricheur et demi. Donc au final mon vote n’influera pas sur le score final, qui est d’avance connu.

Mais aller voter me tenait quand même à cœur,le faire au moins une fois, même si la symbolique derrière était quasi inexistante. Un ami ne comprenait pas pourquoi je tenais quand même à aller voter : il y avait d’une part cette symbolique comme je me suis efforcée de vous expliquer au début et aussi ce vote pour l’Histoire. Pour moi ces élections avait un gout d’un mauvais remake de Game of Thrones : un président actuel décevant, un candidat en prison, d’autres menacés de poursuites judiciaires pour une histoire de bébés volés, un ancien président destitué par coup d’état, un ancien ministre qui ne s’est pas entendu avec son président et j’en passe. Deux slogans ont ponctué la campagne : « Un Coup KO » phrase choc du parti du président sortant et « Un coup dehors »celle de la coalition de l’opposition. Un mauvais remake comme je vous l’ai précisé.

Le Dimanche 21 février 2016, j’ai donc accompli solennellement mon devoir de citoyenne nigérienne et entendu le fameux «  A voté ».   Mon ressenti : un curieux mélange entre un sentiment de devoir citoyen accompli et une lourdeur au cœur me disant qu’au final mon vote n’aura servi à rien, qu’il ne pèse rien dans la balance. Triste déception….

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Les résultats sont communiqués 5 jours après les votes avec beaucoup de polémiques autour de votes frauduleux et une contestation immédiate de la coalition de l’opposition. Au final, un deuxième tour est proclamé : le président sortant contre le candidat « mandelalisé ». La prostitution politique commence dès lors, en langage courant on parle de ralliement, d’alliance et de soutien, c’est du politiquement correct.   La COPA (la coalition de l’opposition) décide de se retirer du processus électoral mais le candidat qu’il soutienne Hama Amadou reste dans la course. Ce même candidat est d’ailleurs toujours emprisonné  pour la dite affaire des bébés volés, aucune libération n’est envisagée avant le seconde tour. Nous sommes dans un état de droit : l’exécutif et le judiciaire sont indépendants nous justifient-ils.  Ce candidat doit battre de nouveau campagne depuis sa prison à Filingué. Pas de débat entre les deux adversaires prévus, aucune chance donc d’assister à une joute verbale, un débat d’idées entre les deux candidats. Vous me direz à quoi cela servirait puisqu’on sait pertinent que cela se transformera inévitablement en règlement de compte. Au final il n’y aura pas d’équité ni d’égalité dans cette élection. L’opposant n’aura pas la possibilité de se défendre, de challenger et d’avoir une campagne semblable à celle du président sortant. Alors à quoi bon voter ?

Dernier rebondissement, Hama Amadou est finalement libéré de prison le 16 mars 2016 pour raison de santé. Il est immédiatement évacué sur Paris pour se faire soigner dans le très prestigieux hôpital Américain. Donc on se retrouve avec un candidat libéré à 4 jours du scrutin mais malade et qui ne pourra donc pas se déplacer pour voter (pour lui-même) dans son fief, comme le font tous les candidats. En même temps, il ne l’a pas fait au premier tour. Mais grande question : Vote-t-on  en toute logique pour un candidat malade ?

Je n’affectionne particulièrement pas aucun des deux prétendants au poste de président : un président sortant au bilan à demi-teinte et un candidat contre qui le sort et les gens ne cessent de s’acharner et qui s’il devient président, se vengera sans nul doute de toutes les arrestations et exils vécus. Alors je préfère garder ma voix, car je n’ai pas le choix au final et on choisira pour moi. Cette élection n’est pas transparente et encore moins équitable. Je ne vois plus l’intérêt d’aller faire  mon devoir de citoyenne : voter pour qui et pourquoi ? Voter blanc ou nul j’y ai songé mais aucun intérêt, juste une perte de temps, le résultat est déjà connu.

Ce second tour s’apparente à une énorme mascarade, il n’y a qu’un seul candidat au final. Et pour l’Histoire je ne souhaite pas y participer. Dimanche, il va faire beau je profiterai donc du soleil et de mon jour de repos.  J’aurai quand même le sentiment du devoir citoyen accompli : choisir de ne pas participer à une mascarade électorale, pour l’Histoire.

Kalatonton

Haria Nyala

3 réflexions sur “Pourquoi je n’irai probablement pas voter dimanche

  1. Intéressent et très directe. J’avoue que la prise de conscience est déjà la, mais il est grand temps pour nous de trouver un moyen de balayer toute cette classe politique et d’inculper réel-ment cette génération consciente à l’ échelle national et international. Notre politique est gangrenée à tout les niveaux malheureusement, Suivant cette logique si nous qui avons cette prise de conscience laissons tomber alors sa ne deviendra qu’un cercle vicieux. Il est possible de créer une vrai renaissance de la démocratie dans notre pays. Effectivement possible si nous mettons tous la main dans la pate comme on le dit. Créer une coalition des jeunes pour la renaissance de la démocratie au Niger ( CJRDN ) est possible. Je réfléchi toujours a comment faire valoir et crédibilisé cette coalition.

    Toute proposition sera la bien venue. Merci

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